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Pedro Soler & beñat Achiary Près du cœur sauvage… Discographie sélective Beñat Achiary Aranda (Ocora) Goñiko- Z Alduna (légende basque dite et chantée) (Musidisc) Etage 34+ Beñat Achiary (Poèmes, chants improvisés, free rock) (33 Revpermi) Musique basque d’aujourd’hui : Lili purprea (là est le thème que tu aimes) (Auvidis/Silex) Mes chants verts et bleus «Ene kantu ferde ta widinak» (Auvidis/Silex) Ce n’est pourtant (Duo improvisé avec Michel Doneda) (L’Empreinte Digitale) Beñat Achiary - Kent carter - David Holmes (Vand’œuvre) Temps couché : Michel Doneda, Kasue Sawai, Beñat Achiary (Disques Victo) Discographie sélective pedro soler - les riches heures du flamenco - grands cantaores du flamenco Pepe de la Matrona Jacinto Almadén - pedro soler : Sombras - enrique orozco / Pedro Soler : cantaor sevillano - El Niño Almadén / pedro soler - Juan Varea / Pedro soler - pedro soler / Renaud Garcia-Fons : Suite andalouse - kudsi erguner / Pedro Soler : Le concert de Nanterre - Ravi Prasad / Pedro Soler (le Chant du Monde) (le Chant du Monde) (le Chant du Monde) (al sur) (al sur) (Mandala) (al sur) (al sur) (al sur) (al sur) (Le Chant du Monde, Mandala, Ocora, l’Empreinte Digitale : distribution Harmonia Mundi) (Auvidis/Silex : distribution Naïve) -2- «Après avoir rêvé chanter aux côtés de Pedro Soler, de nombreux travaux nous ont rapprochés notamment ce formidable «Poète à New-York» avec Bernard Lubat aux claviers. Près du cœur sauvage est une aventure différente, comme un dialogue intime, de cette simplicité des sources venues de loin et qui, parfois, murmurent des sons troublants sous des halliers secrets... Mais parfois, cette musique prend les violences et les caresses des grands vents… Elle a cette intimité exacte et audacieuse des mots d’amour brûlants… Elle palpite de cette proximité inassouvie des lèvres et de l’âme. Temps précieux, suspendu … Courses en quête d’absolu comme le cerf bramant sur la colline dont parle Lorca en pensant à Saint Jean de la Croix… De confidences arrachées, elle se fait posséder par la transe des danses sauvages et de haute science. Les grands poètes peuplent ces territoires… Gòngora, Lorca, Pessoa et les basques, Artze, Casenave…» Beñat Achiary -3- 1 - Tu infancia en Menton (Extraits) Sí, tu niñez ya fábula de fuentes. El tren y la mujer que llena el cielo. Tu soledad esquiva en los hoteles Y tu máscara pura de otro signo. Es la niñez del mar y tu silencio donde los sabios vidrios se quebraban. Es tu yerta ignorancia donde estuvo mi torso limitado por el fuego. Norma de amor te di, hombre de Apolo, llanto con ruiseñor enajenado, pero, pasto de ruina, te afilabas para los breves sueños indecisos... Alma extraña de mi hueco de venas, te he de buscar pequeña y sin raíces. ¡ Amor de siempre, amor, amor de nunca ! ¡Oh sí ! Yo quiero ¡Amor, amor ! Dejadme. No me tapen la boca los que buscan espigas de Saturno por la nieve o castran animales por un cielo, clinica y selva de la anatomía. Amor, amor, amor. Niñez del mar. Tu alma tibia sin ti que no te entiende. Amor, amor, un vuelo de la corza por el pecho sin fin de la blancura. Y tu niñez, amor, y tu niñez. El tren y la mujer que llena el cielo. Ni tú, ni yo, ni el aire, ni las hojas. Sí, tu niñez : ya fábula de fuentes. Allí, león, allí, furia de cielo, te dejaré pacer en mis mejillas ; allí, caballo azul de mi locura, pulso de nebulosa y minutero. He de buscar las piedras de alacranes y los vestidos de tu madre niña, llanto de media noche y paño roto que quitó luna de la sien del muerto. Sí, tú niñez : ya fábula de fuentes. Extrait de «Poeta en Nueva York» Federico García Lorca. Edición de María Clementa Millán. Catedra / Letras hispánicas. -4- 2 - Y después Federico García Lorca 3 - Poema doble del lago Eden (Extraits) Federico García Lorca Los laberintos Que crea el tiempo, se desvanecen. Dejarme pasar la puerta donde Eva come hormigas y Adán fecunda peces deslumbrados. Dejarme pasar, hombrecillos de los cuernos, al bosque de los desperezos y los alegrísimos saltos. (Sólo queda el desierto.) El corazón, fuente del deseo, se desvanece. (Sólo queda el desierto.) La ilusión de la aurora y los besos, se desvanecen. Yo sé el uso mas secreto que tiene un viejo alfiler oxidado y sé del horror de unos ojos despiertos sobre la superficie concreta del plato… Quiero llorar porque me da la gana, como lloran los niños del último banco, porque no soy un hombre, ni un poeta, ni una hoja, pero sí un pulso herido que ronda las cosas del otro lago. Quiero llorar diciendo mi nombre, rosa, niño y abeto a la orilla de este lago, para decir mi verdad de hombre de sangre... Sólo queda el desierto. Un ondulado desierto. Federico García Lorca : « Poeta en Nueva York » Poema del cante jondo 1921 Edición de María Clementa Millán Edición, introducción y notas : Editions . Catedra Letras Hispánicas. Mario Hernández chez Alianza International -5- 4 - Jantzi egokia, bai, baina / Ce corps, il est vrai, est un habit seyant… J.A Artze (inédit) Jantzi egokia, bai, baina estuegia egokitu zaio gorputz hau ene gogo honi amets duen bidea egiteko. Amesik zabalena, ametsik arinera ere, estu eta astun zaio ene bihotz honi gogo duen gaindegietara hegaldatzeko. Ce corps, il est vrai, est un habit seyant mais il est bien trop étriqué pour mon esprit pour faire le chemin qu’il souhaite. Mais le rêve le plus ample, le rêve le plus léger, semble étroit et lourd à mon cœur pour s’envoler vers les cimes désirées. Azkena ikusten zaion bidean ez du ene gogo honek, ene gogoz, urrats luzerik egingo; bazterrik ageri zaion eremuan ez dute luzaroan ene bihotz hau ikusiko. Mon esprit ne fera pas volontiers, de long parcours sur ce chemin dont on voit la fin; on ne verra pas longtemps mon cœur dans cette contrée dont on aperçoit les limites. Erantzi nadi jantziez, jantziez eta ametsez, haragizko jantzi hau eranzteko ordua iritsi baino lehen, amets hutsal hau itzaliko duen egunsentia etorri aurretik. Que je me dépouille des habits, des habits et des rêves, avant que n’arrive l’heure d’ôter cet habit de chair, avant que ne vienne l’aube qui éteindra ce rêve futile. -6- 5 - Petites valses viennoises - Federico García Lorca Il y a des mendiants sur les toits. Il y a de fraîches guirlandes de pleurs. Ay, ay,ay, ay ! Prends cette valse qui se meurt dans mes bras. A Vienne il y a dix jeunes filles, une épaule où sanglote la mort et un bois de colombes empaillées. Il y a un fragment de matin au musée du givre. Il y a un salon à mille fenêtres. Ay, ay, ay, ay ! Prends cette valse la bouche fermée. Parce que je t’aime, je t’aime, amour, dans le grenier où vont jouer les enfants, rêvant de vieux lustres de Hongrie dans la rumeur du tiède après-midi, voyant des brebis et des iris de neige dans le silence obscur de ton front. Ay, ay, ay, ay ! Je prends la valse « Je t’aime toujours. » Cette valse, valse, valse de oui, de mort et de cognac, qui mouille sa traîne dans la mer. Je t’aime, t’aime, t’aime, avec le fauteuil et le livre mort, dans le couloir mélancolique, A Vienne, je danserai avec toi dans un déguisement qui aura une tête de fleuve Vois mes rives de jacinthes ! Je laisserai ma bouche entre tes jambes, mon âme dans des lis et des photographies et dans la vague obscure de ta démarche je veux, mon amour, mon amour,laisser, violon et sépulcre, les rubans de la valse. au grenier sombre de l’iris, dans notre lit de la lune et par la danse que rêve la tortue. Ay, ay ,ay, ay ! Prends cette valse aux reins cambrés. A Vienne il y a quatre miroirs où jouent ta bouche et les échos. Il y a une mort pour piano qui peint en bleu les jeunes gars. Extrait de «Poeta en Nueva York» Edición de María Clementa Millán. Catedra / Letras hispánicas. -7- Beñat Achiary est né à Saint Palais au Pays Basque, là où se pratique les berstularis, joutes verbales chantées et improvisées : le patrimoine, les racines, l’héritage donc basques. Etudiant à Bordeaux il crée avec son frère le groupe Urria. De retour au pays, il travaille dans le bâtiment, à l’usine.En France Mai ‘68 est passé, en Espagne le régime franquiste est toujours en place... Un soir, lors d’un concert, il monte sur scène aux côtés de Bernard Lubat, Michel Portal, Bob Guérin... Il accompagne ensuite Louis Sclavis, travaille avec Han Benninck, Ulrich Gumpert, David Holmes, Kent Carter... En 1996 il crée le festival d’Itxassou qui explore tous les possibles artistiques. On retouve là bas, entre autres, Michel Doneda, Pedro Soler,Bernard lubat et sa Compagnie, Michel Etchecopar, le poète Josean Artze, Peio Zabalette, Joël Mérah, Stéphane Garin, Jesus Aured. Beñat Achiary est aussi professeur au Conservatoire de Bayonne et travaille avec Jean Schwartz (musique électroacoustique)... 1998 voit la création d’ un poète à New-York », un hommage à Federico García Lorca, sur une composition de Beñat Achiary avec Pedro Soler, Michel Doneda, Stéphane Garin, Olivier Paquotte, Dominique Repécaud et Joël Mérah. -8- Très tôt, Pedro Soler a été adopté par les maîtres de “l’age d’or” du flamenco. C’est Jacinto Almadén, qui attiré par la sonorité de son jeu, décide de le former pour en faire son guitariste. Il le prend à ses côtés comme second guitariste auprès de Pepe de Badajos qui le laisse “entendre et voir” et dont les seules indications se résument à : “C’est ça, ce n’est pas ça”. Il a accompagné Almadén jusqu’à sa mort et joué avec Juan Varea, Enrique Orozco, Enrique Morente, Miguel Vargas et Pepe de la Matrona dont l’enseignement fut déterminant. Il a accompagné plusieurs danseuses comme Carmen Amaya, La Chunga et surtout La Joselito. Il continue aujourd’hui cette pratique de la tradition en solo et en duo. Il a joué longtemps aux côtés d’Atahualpa Yupanqui, enregistré avec le guitariste brésilien Nonato Luiz, accompagné Germaine Montero et Maria Casarés. en Parallèle de nombreuses rencontres l’ont amené à faire dialoguer le flamenco et les univers musicaux d’artistes tels que Renaud Garcia-Fons, Raoul Barbosa, Ravi Prasad, Michel Doneda et Beñat Achiary en duo et pour la création de “Un poète à New-York, un hommage à Federico García Lorca. -9- 6 - Cantico espiritual - St. Jean de La Croix Vuelve te paloma, Que el ciervo vulnerado, Por el otero asoma, Al aire de tu vuelvo, y fresco toma. ¿ Adonde te escondiste, amado, y me dejaste con gemido ? Como el ciervo huiste, habiéndome herido ; salí tras ti, clamando, y eras ido. ¡Oh cristalina fuente, si en esos tus semblantes plateados, formases de repente los ojos deseados, que tengo en mis entrañas dibujados ! Buscando mis amores, iré por esos montes y riberas ; ni cogeré las flores, ni temeré las fieras, y pasaré los fuertes y fronteras. Mi amado, las montañas, los valles solitarios nemorosos. las ínsulas extrañas, los ríos sonorosos, el silbo de los aires amorosos, ¿ Por qué, pues has llagado aqueste corazón, no le sanaste ? ¿Y pues me le has robado, por qué así le dejaste, y no tomas el robo que robaste ? De flores y esmeraldas, en las frescas mañanas escogidas, haremos las guirnaldas, en tu amor florecidas, y en cabello mío entretejidas. Apaga mis enojos, pues que ninguno basta a deshacellos, y véante mis ojos, pues eres lumbre dellos, y solo para ti quiero tenellos. Detente, cierzo muerto ; ven, austro, que recuerdas los amores aspira por mi huerto, y corran sus olores, y pacerá el amado entre las flores. No quieras despreciarme, que si color moreno en mí hallaste, ya bien puedes mirarme, después que me miraste, que gracia y hermosura en mí dejaste Extrait de « Poésies complètes » Jean de La Croix. Traduction de Bernard Sesé. «Ibériques» aux Editions José Corti . - 10 - 9 - Jon Mirande - Jauregi hotzean Jauregi hotzean aitoren alhabak nigar dagi. Egunen luzea bakhar-bakarrikan othoitzetan !… Goizetik joana da zalduna gudurat. Noiz dathorke ? Elhurte zurian zeinbat odol-istil, odol urdin… Mendietan elhur, haizeak urduri, zeru goibel… Nasaiki jan dute hilbeltzeko zakhur gosetuek. Nafar jauregian andere gazte bat belzez jantzi. Extrait de « Ene Jainko - Eidol Zaharra, lur!» de Jon Mirande aux Editions Elxar. 10 - Tío-Vivo - Federico Carcía Lorca Los días de fiesta van sobre ruedas. El tío-vivo los trae, y los lleva. Corpus azul. Blanca Nochebuena. Los días abandonan su piel, como las culebras con la sola excepción de los días de fiesta. Estos son los mismos de nuestras madres viejas. Sus tardes son largas colas de moaré y lentejuelas. Sobre caballitos disfrazados de panteras los niños se comen la luna como si fuera una cereza. Corpus azul Blanca Nochebuena. ¡ Rabia, rabia, Marco Polo ! Sobre una fantástica rueda, los niños ven lontananzas desconocidas de la tierra. El tío-vivo gira colgado de una estrella. Tulipán de las cinco partes de la tierra. Corpus azul Blanca Nochebuena. Extrait de : « Federico García Lorca : Canciones 1921-1924 » Edición, introducción y notas : Mario Hernández Chez Alianza Editorial. - 11 - 11 - Arratia ibarreko sehaska abestia / Nana flamenca Berceuse de la vallée d’Arratia en Bizkaia (Chanson ancienne) / Berceuse flamenca Attette dala zuzulun berde amama dala masuzte ; aite joan da iturriera ama lepoan hartute. Aite etorri da iturrietik ama bidian galdute ; aitek topau dau ama kamaran gona gorrie jantzite. Neure laztan ederra Ferrolera doa okerren banderea aurretik daroa. Grand-père est plaisant grand-mère est douce comme une mûre ; papa est allé à la fontaine en prenant maman sur ses épaules. Papa est revenu de la fontaine et a perdu maman en chemin ; papa a trouvé maman au grenier habillée d’une jupe rouge. Ababatxu atxun gorri gorri ez egin lorik basuan azaritxuak jan ez agize bildotsa zarialakuan. Mon petit chéri s’en va au Ferrol il a devant lui le drapeau des méchants. Ma jolie petite colombe ne t’endors pas dans le bois que le petit renard ne te mange pas en te prenant pour un agneau. - 12 - 12 - Sonnet - Luis de Góngora Mientras por competir con tu cabello oro bruñido al sol relumbra en vano ; mientras con menosprecio en medio el llano mira tu blanca frente el lilio bello ; goza cuello, cabello, labio y frente, antes que lo que fue en tu edad dorada oro, lilio, clavel, cristal luciente, no sólo en plata o viola troncada se vuelva, mas tú y ello juntamente en tierra, en humo, en polvo, en sombra, en nada. mientras a cada labio, por cogello, siguen más ojos que al clavel temprano, y mientras triunfa con desdén lozano del luciente cristal tu gentil cuello, In Luis de Gongóra « Sonnets » Traduit de l’espagnol par Frédéric Magne. Frontispice D’Orlando Pelayo. Editions La Délirante. 13 - Xoxo beltz bat (Kantu zaharra) Un merle noir (Chanson ancienne) Xoxo beltz ba nuen kaiolan sartua, egun batez neguan hil zen gixajua. Lurpian sartu nuen zelaia (re)n xokuan ; eguna argitzen deni(a)n, xolu hartan, xolu hartan, xoxu(ar)en kantua. J’avais un merle noir dans une cage, un jour d’hiver il mourut, le pauvre. Je l’enterrai dans un coin du pré ; au lever du jour j’entends venant de ce trou le chant du merle. - 13 - Ces textes sont extraits du livre de J. A. Artze : «Le monde est un grand homme et l’homme un petit monde» recueil de chants traditionnels basques, traduction: Edurne Alegria Aierdi , avec la collaboration d’Aurelia et Fermin Arkotxa Mortalena aux éditions Iratze. 14 - ¡ Son de negros en Cuba ! (extraits) - Federico García Lorca Cuando llegue la luna llena iré a Santiago de Cuba, iré a Santiago, en un coche de agua negra iré a Santiago. ¡oh Cuba! ¡ oh ritmo de semillas secas! Cantarán los techos de palmera Iré a Santiago. iré a Santiago. ¡Oh cintura caliente y gota de madera ! Cuando la palma quiere ser cigüeña, Iré a Santiago. iré a Santiago Arpa de troncos vivos. Caíman. Flor de tabaco. y cuando quiere ser medusa el plátano, Iré a Santiago. iré a Santiago Siempre he dicho que yo iría a Santiago Iré a Santiago en un coche de agua negra. con la rubia cabeza de Fonseca. Iré a Santiago. Iré a Santiago. Y con el rosa de Romeo y Julieta Brisa y alcohol en las ruedas, iré a Santiago. iré a Santiago. Mar de papel y plata de monedas. Mi coral en la tiniebla, Iré a Santiago. iré a Santiago. El mar ahogado en la arena, iré a Santiago. Calor blanco, fruta muerta, iré a Santiago. ¡Oh bovino frescor de cañavera! ¡Oh Cuba! ¡Oh curva de suspiro y barro ! Iré a Santiago. Extrait de : Federico García Lorca : «Poeta en Nueva York» Editions : Catedra Letras hispánicas. Traduits en français par André Belamich aux éditions NRF. Poésie Gallimard. - 14 - 15 - Fernando Pessoa - Ode maritime Je prends congé de cette heure dans le corps de cet autre navire Qui est sur le point de sortir. C’est un tramp-steamer anglais Très sale, comme un navire français, Avec son air sympathique de prolétaire des mers, Sans doute annoncé hier en dernière page des gazettes. Il m’attendrit, pauvre vapeur qui s’en va si humble et si naturel. Il a l’air d’avoir des scrupules à faire je ne sais quoi, comme un brave homme Accomplissant quelque devoir. Le voici qui s’éloigne de l’endroit en face du quai où je suis. Le voici qui avance tranquillement par où passaient les vaisseaux D’autrefois, d’autrefois... Vers Cardiff ? Vers Liverpool ? Vers Londres ? Aucune importance. Il a fait son devoir. Nous aussi, faisons donc le nôtre. Belle vie ! Bon voyage ! Bon voyage ! Bon voyage, mon pauvre ami occasionnel qui me fis la grâce D’emporter avec toi la fièvre et la tristesse de mes songes ; Et de me restituer à la vie pour te regarder et te voir passer. Bon voyage ! Bon voyage ! C’est la vie… Quel aplomb si naturel et inévitablement matinal Dans ta sortie du port de Lisbonne, aujourd’hui ! Je t’en garde une curieuse et reconnaissante tendresse… Pourquoi, au fait ? Est-ce que je sais !… Va… Passe… Avec un léger frémissement (T-t--t---t----t-----t…), Le volant au fond de moi s’arrête. - 15 - Passe, lent vapeur, passe et ne reste pas… Passe loin de moi, loin de ma vue, Va-t’en du dedans de mon cœur, Perds-toi au Large, au Large, brume de Dieu, Perds-toi, suis ton destin, et laisse-moi… Et moi, qui suis-je, pour pleurer et interroger ? Qui suis-je, pour te parler et t’aimer ? Qui suis-je, pour que te voir me trouble ? Va-t-en du quai, le soleil croît, il se lève, or, Luisent les toits des bâtiments du quai, Tout ce côté-ci de la ville brille… Pars, laisse-moi, et deviens D’abord ce navire au milieu du fleuve, visible et net, Puis ce navire cheminant vers la “barre“, petit et noir, Puis, vague point à l’horizon (ô mon angoisse!) Point de plus en plus vague à l’horizon…, Puis rien, sinon moi et ma tristesse, Et la grande ville maintenant pleine de soleil Et l’heure réelle et nue comme un quai sans navires, Et la lente rotation de la grue, comme un compas qui tourne, Traçant un demi-cercle de je ne sais quelle émotion Dans le silence troublé de mon âme… Fernando Pessoa : «Alvaro de Campos -Odes maritime et autres poèmes» Traduit du portugais par Dominique Touati et Michel Chandeigne. Présenté par Claude Michel Cluny / Editions Orphée - La Différence. - 16 -