Sur La Standardisation Constitutionnelle

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IXe Congrès Mondial de l’AIDC LES DEFIS CONSTITUTIONNELS: GLOBAUX ET LOCAUX 16-20 juin 2014, Oslo. Proposition pour l’Atelier n° 5 Sur la standardisation constitutionnelle Jérémy Mercier1 « What’s past is prologue » Shakespeare, The Tempest 0. Prémisse……………………………………………………………………………………....p.1 1. La justification de la standardisation constitutionnelle……………………………………...p.3 1.1. La réception internationale des droits fondamentaux…………………………………....p.4 1.2. Qu’est-ce qu’un standard ?................................................................................................p.5 1.3. L’incorporation des standards...........................................................................................p.7 1.4. Une standardisation constitutionnelle « en génération »………………………………...p.8 1.5. Les droits fondamentaux comme standard et paramètre de constitutionnalité dans la jurisprudence de la Cour italienne……………………………………………………….p.9 1.6. La standardisation par la « transcription »……………………………………………..p.10 1.7. Le recours à la doctrine étrangère……………………………………………………...p.12 2. La standardisation comme moyen de justification du dialogue des juges…………………..p.14 2.1. L’argument rhétorique de la proportionnalité………………………………………….p.14 2.2. La proportionnalité comme paramètre fondamental du constitutionnalisme contemporain : le standard et la standardisation des cultures constitutionnelles…………………….....p.15 2.3. Exemple d’un standard transconstitutionnel : la sécurité juridique…………………....p.16 2.4. La sécurité juridique : un standard performatif………………………………………...p.17 2.5. Un argument de relative autorité régulatrice...................................................................p.18 0. Prémisse Serions-nous entrés dans un monde de standards ?2 Et pourrait-on, si tel était le cas, en dire autant en ce qui concerne le droit constitutionnel ? Les mutations du droit constitutionnel contemporain semblent fort correspondre à un tel mouvement. Il en va ainsi du courant 1 [email protected] | Doctorant en droit public, Attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER). Centre de Théorie et Analyse du Droit, Université Paris Ouest Nanterre (France). Thèse en cours sur le néoconstitutionnalisme sous la direction du Professeur Pierre BRUNET (France) et Pierluigi CHIASSONI (Italie). 2 BRUNSSON, Nils & JACOBSSON, Bengt, A World of Standards, Oxford, Oxford University Press, 2002. 1 contemporain que l’on qualifie de « néoconstitutionnalisme » (de l’italien « neocostituzionalismo » 3 , de l’espagnol « neoconstitucionalismo » 4 et de l’anglais « new constitutionalism » en dépit d’une acception plus large du terme5) en ce qu’il consiste en une nouvelle théorie constitutionnelle justifiant la coopération entre juridictions et le dialogue des juges 6 , sous la forme d’un « cercle constitutionnel commun » 7 à protéger reposant sur un ordre de valeurs fondamentales 8 . Ce dernier est ainsi composé de principes 9 et de droits 3 Le terme italien « neocostituzionalismo », traduit en français par « néoconstitutionnalisme », fut forgé par l’École de Gênes, et notamment Mauro Barberis, Paolo Comanducci et Susanna Pozzolo, lors de son intervention au XVIIIè Congreso Mundial de Filosofia juridica y Social, Buenos Aires-La Plata (Argentine), 1015 août 1997. Lire : Neoconstitucionalismo y especificidad de la interpretación constitucional, in « Doxa », 21, 1998, pp. 339-353 et Neocostituzionalismo e positivismo giuridico, Torino, Giappichelli, 2001. Du point doctrinal, le “neocostituzionalismo” fait référence au noyau commun, dans les trois dernières décennies, aux travaux notamment de Ronald Dworkin, Robert Alexy, Carlos Santiago Nino, Luigi Ferrajoli et notamment Gustavo Zagrebelsky. Ce courant, et cette liste non exhaustive d’auteurs, est considéré comme l’expression d’un « constitutionnalisme contemporain » ou d’un « nouveau constitutionnalisme » ; PRIETO SANCHIS, Luis, « Neocostituzionalismo e ponderazione giudiziale », in Ragion Pratica, 10, 18, 2002, pp. 169-200 ; BARBERIS, Mauro, « Neocostituzionalismo , democrazia e imperialismo della morale », in Ragion Pratica, 7, 14, 2000, pp. 147-162 ; SCHIAVELLO, Aldo, « Neocostituzionalismo o neocostituzionalismi ? », in “Diritto e questioni publiche”, n°3, 2003. 4 CARBONELL, Miguel, (ed.), Neoconstitucionalismo(s), Madrid, Trotta, 2003, 286 pages ; Id., Teoria del neoconstitucionalismo. Ensayos escogidos, Madrid, Trotta, 2007, 336 pages & Id. (ed.), El canon neoconstitucional, Bogotá, Universidad Externado de Colombia, 2010, 660 pages. 5 STONE SWEET, Alec, Governing with judges. Constitutional politics in Europe, Oxford, Oxford University Press, 2000 ; HIRSCHL, Ran, Hirschl, Towards Juristocracy. The origins and consequences of new constitutionalism, Cambridge, Harvard University Press, 2004, selon lequel le « new constitutionalism »: « can be more productively analyzed in terms of an interest-based hegemonic preservation approach – that is judicial empowerment through the constitutionalization of rights and the establishment of judicial review is often a conscious strategy undertaken by threatened political elites seeking to preserve or enhance their hegemony by insulating policy-making form popular political pressures, and supported by economic and judicial elites with compatible interests…. » (p.99). 6 L’expression se trouve déjà dans les conclusions du Président Bruno GENEVOIS sous l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’État, « Ministère de l’intérieur c/ Cohn-Bendit », 6 décembre 1978 ; DE GOUTTES, Régis, « Le dialogue des juges », Colloque du cinquantenaire du Conseil Constitutionnel, 3 Novembre 2008 ; SLAUGHTER, Anne-Marie « A Typology of Transjudicial Communication », University of Richmond Law Review, vol. 29, 1994, p.99 ; DE VERGOTTINI, Giuseppe, Au-delà du dialogue entre les cours. Juges, droit étranger, comparaison, trad. de l’italien et présenté par Jean-Jacques Pardini, Paris, Dalloz, coll. “Rivages du droit”, 2013, p.59 : « c’est dans ce contexte que s’est affirmé le thème du dialogue entre les juges » ; ROSENFELD, Michel « Repenser l’ordonnancement constitutionnel à l’ère du pluralisme juridique et du pluralisme idéologique », in RUIZ FABRI, Hélène & ROSENFELD, Michel (dir.), Repenser le constitutionnalisme à l’âge de la mondialisation et de la privatisation, Paris, Société de législation comparée, « coll. de l’UMR de droit comparé de Paris (Université de Paris 1 / CNRS – UMR 8103) », vol. 23, 2010, p. 106. 7 ZAGREBELSKY, Gustavo, “Jueces constitucionales”, in CARBONELL, Miguel, Teoria del neoconstitucionalismo, cit., p. 91-92. 8 Trait caractéristique du constitutionnalisme contemporain, cette vocation est mise en évidence par Pierre BRUNET, «La constitutionnalisation des valeurs par le droit», in HENNETTE-VAUCHEZ, Stéphanie & SOREL Jean-Marc (dir.), Les droits de l'homme ont-ils «constitutionnalisé le monde» ?, De Boeck, 2011, pp. 283-302 ; Luc HEUSCHLING, « La Constitution formelle », in TROPER, Michel, CHAGNOLLAUD, Dominique (sous la dir. de), Traité international de droit constitutionnel. Théorie de la Constitution, Dalloz, Paris, 2012, p.292. 9 On reprend ici le sens général des « principes » expliqué par Riccardo GUASTINI sous leur trois acceptions : 1) comme « norme qui caractérise le système juridique en question », 2) comme « norme qui donne un fondement axiologique (une justification éthico-politique) à une pluralité d’autres normes appartenant au même système » et 3) comme « norme qui n’exige à son tour aucun fondement, aucune justification éthico-politique, car elle est conçue, dans la culture juridique existante, comme une sorte d’ « axiome », c’est-à-dire une norme évidemment « juste » ou « correcte » » : GUASTINI, Riccardo, « Les principes de droit en tant que source de perplexité théorique », in Les principes en droit, sous la direction de Sylvie Caudal, Economica, Paris, 2008, pp.114-115. 2 fondamentaux qui servent à favoriser la convergence dans l’interprétation des normes constitutionnelles par les juges 10 , mais qui sont aussi utiles, en un second temps, pour permettre une standardisation progressive des normes constitutionnelles. Ces mutations contemporaines impliquent donc une progressive dénationalisation du droit constitutionnel11 au profit d’un constitutionnalisme transnational 12 fait d’influences 13 et de recours au droit comparé. D’un même mouvement, ce nouveau constitutionnalisme entend refléter, dans ses articulations doctrinales, le processus de réception interne des standards internationaux en matière de droits fondamentaux14. A ce titre, par un tel processus de redynamisation de l’État constitutionnel de droit15 et du rôle du juge constitutionnel, c’est bien le dialogue16 ou, pour reprendre une analyse du professeur Christopher McCrudden, la conversation des juges17 qui joue un rôle fondamental comme justification d’une certaine standardisation constitutionnelle (I) qui est aussi un moyen de justification notamment autour d’un standard commun d’interprétation (la proportionnalité) et de décision (la sécurité juridique) (II). 1. La justification de la standardisation constitutionnelle 10 ZAGREBELSKY, Gustavo, La giustizia costituzionale, Bologna, Il Mulino, 1988, pp. 36-37 : “La justice constitutionnelle (...) constitue l’indice le plus significatif de la formation progressive d’un “idem sentire costituzionale”, d’un droit constitutionnel commun dont les jurisprduences de la Cour internationale de justice, comme celles de la Cour eurpoéenne des droits de l’homme et de la Communauté européenne sont souvent l’expression. Si ce phénomène est la conséquence de la communauté des conditions politiques, économiques et culturelles fondamentales de nombreux pays, surtout sur le continent européen et dans l’Amérique septentrionale, il est indéniable que la diffusion de la justice constitutionnelle ait contribué à son tour à la convergence dans la façon d’aborder et de résoudre juridiquement dans de tels contextes les problèmes les plus élevés de la vie en commun sociale et politique”. 11 ZUMBANSEN, Peer, « Carving out typologies and accounting for differences across systems : towards a methodology of transnational constitutionalism », in ROSENFELD, Michel, SAJO, Andras, The Oxford Handbook of comparative constitutional law, “Introduction”, Oxford, Oxford University Press, 2012, pp. 75-97. 12 JACKSON, Vicki C., Constitutional engagement in a Transnational Era, not. chap. 2 « Convergence with the transnational », New York, Oxford University Press, 2010, pp.39-70 ; ROSENFELD, Michel, « Repenser l’ordonnancement constitutionnel à l’ère du pluralisme juridique et du pluralisme idéologique », in RUIZ FABRI, Hélène & ROSENFELD, Michel (dir.), Repenser le constitutionnalisme à l’âge de la mondialisation et de la privatisation, cit., p.137, s’agissant de l’affaire CEDH Handyside c. Royaume Uni, req. n°5493/72, 7 déc. 1976 : « conformément à cet état des choses, un outil d’ordonnancement constitutionnel qui accomoderait un degré signifiant de dissonance et de non-conformités entre parties constituantes d’un ordre constitutionnel transnational superposé ne serait pas seulement acceptable : il serait en réalité préférable, tant pour des raisons pluralistes que pour des raisons pragmatiques. », mais encore p.142 à propos de « l’arène constitutionnelle transnationale ». 13 GROPPI, Tania & PONTHOREAU, Marie-Claire, The use of foreign precedents by constitutional judges, Oxford-Portland, Hart Publishing, 2013 ; ROSENFELD, Michel & SAJO, Andras, The Oxford Handbook of comparative constitutional law, “Introduction”, Oxford, Oxford University Press, 2012, p.14. 14 L’arrêt du Tribunal fédéral de Suisse du 26 juillet 1999, 1A. 178/1998, 1A. 208/1998, A. c. Ministère public fédéral, Département fédéral de justice et police et Conseil fédéral, relatif à un conflit entre des dispositions de la loi fédérale d’organisation judiciaire et les exigences de la CEDH en est une illustration. 15 ZAGREBELSKY, Gustavo, Fragilità e forza dello Stato costituzionale, Napoli, Editoriale scientifica, 2006. 16 SOREL, Jean-Marc, « La constitutionnalisation du droit international : conflits et concurrence des sources du droit? : fausse querelle, mais vraies questions », in RUIZ FABRI, Hélène & ROSENFELD, Michel, Repenser le constitutionnalisme à l’ âge de la mondialisation et de la privatisation, Paris, Société de législation comparée, 2011, p.32 ; L’HEUREUX-DUBE, Claire, « The Importance of Dialogue : Globalization and the International Impact of the Rehnquist Court », Tulsa Law Journal, vol.34, 1998, p.17, montre en particulier comment les juges participent activement à ce dialogue. 17 MCCRUDDEN, Christopher, « Common Law of Human Rights? Transnational Judicial Conversations on Constitutional Rights », in Oxford Journal of Legal Studies, vol 20, n°4, 2000, p. 499-532. 3 1.1. La réception internationale des droits fondamentaux Pour veiller à la protection des droits, le courant du constitutionnalisme contemporain revalorise l’idée et la notion de constitution à l’aune de principes internationalement reconnus en matière de droits fondamentaux18. Un processus de déhiérarchisation, de dénationalisation et de perte du sens normatif des constitutions au niveau interne (que Paolo Grossi nomme, par exemple, la crise du « monopole juridique de l’État »19), est alors compensé par un processus de réception internationale 20 de certaines normes considérées comme supérieures, fondamentales et donc indérogeables : les droits fondamentaux21, c’est-à-dire les droits de l’homme 22 . Ces derniers doivent être inclus dans les constitutions selon un idéal-type universel, en tant que principes 23 qui sont, selon l’impératif de l’État constitutionnel déjà formulé par Peter Häberle, de véritables valeurs directrices24. Pour pouvoir être à leur niveau optimum de protection et de garantie contemporaine des droits fondamentaux, les États doivent enchâsser leurs constitutions dans des impératifs établis par les conventions internationales, ce que l’on nomme aussi l’exigence de « l’État constitutionnel coopératif »25. Ils doivent donc accueillir les standards internationaux reconnus – l’expression est par ailleurs utilisée à très juste titre par la Commission de Venise pour la démocratie par le droit - afin que leur droit constitutionnel corresponde au droit contenu dans les conventions internationales sous au moins deux entrées : 1) la référence aux droits fondamentaux et 2) la réciprocité transnationale en matière d’interprétation. A titre d’exemple, la Cour constitutionnelle italienne, dans son arrêt n°388, §2-1, du 13 octobre 1999, n’a pas manqué de rappeler que les droits de l’homme protégés par la constitution et garantis par les conventions internationales 18 VON BOGDANDY, Armin « Comparative constitutional law : a contested domain », in ROSENFELD, Michel & SAJO, Andras, The Oxford Handbook of comparative constitutional law, cit., 2012, p.31 : « The opening of national legal orders to supra- and international law, especially the law of the European Union and perhaps also the ECHR, has triggered a process of change, not only in national constitutional law, but also in its scholarship. Many believe that national constitutional law has even entered a new era ». 19 GROSSI, Paolo, « Globalizzazione, diritto, scienza giuridica », in GROSSI, Paolo, Societa, Diritto, Stato. Un recupero per il diritto, Milano, Giuffrè, 2006, §5, p. 288. 20 PFERSMANN, Otto, in La science du droit dans la globalisation, sous la direction de Jean-Yves Chérot et Benoît Frydman, Bruxelles, Bruylant, coll. « Penser le Droit », 2012. 21 PECES-BARBA, Gregorio, Théorie générale des droits fondamentaux, Droit et société, vol.38, 2003 ; CHAMPEIL-DESPLATS, Véronique, « La théorie générale de l’État est aussi une théorie des libertés fondamentales », revue Jus Politicum, n°8, 2012. 22 L’exemple d’une telle diffusion jurisprudentielle est mis en évidence dans PONTHOREAU, Marie-Claire, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), Paris, Economica, 2010. 23 DWORKIN, Ronald, A Matter of Principle, Cambridge (Mass.) - London, Harvard University Press, 1985 ; Pour un examen théorique : FERRAJOLI, Luigi, Principia Iuris. Teoria del diritto e della democrazia, 2 vol., Roma-Bari, Laterza, 2007 (vol.1, « Teoria del diritto », 1021 pages – vol.2, « Teoria della democrazia », 713 pages) & CHAMPEIL-DESPLATS, Véronique, « Production et sens des principes: relecture analytique », in Diritto e questioni pubbliche, n°11/2011, pp.38-57. 24 HÄBERLE, Peter, L’État constitutionnel, texte traduit par Marielle Roffi, révisé et édité par Constance Grewe, Paris, Economica, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, coll. « Droit public positif », en particulier p. 158-159 sur les « valeurs directrices ». Mais aussi en Italie pour reprendre un thème fameux à Antonio BALDASSARE, « Costituzione e teoria dei valori », in Politica del diritto, 1991, pp. 639 et ss.; « Interpretazione e argomentazione nel diritto costituzionale », in Costituzionalismo.it. (http://www.costituzionalismo.it/docs/Interpretazione-Baldassarre.pdf). On ne peut que se référer aux excellentes critiques qu’en ont fait Riccardo GUASTINI (« Sostiene Baldassare », in Giurisprudenza costituzionale, 2007, 2, pp. 1373-1383) autant que Aljs VIGNUDELLI, « Valori fuori controllo? Per un’analisi costi/benefici d’un topos della letteratura costituzionalistica contemporanea », Lo Stato, n. 1 (2013), pp. 71-116. 25 HÄBERLE, Peter, L’État constitutionnel, cit., pp.63-69. 4 doivent être interprétés à la lumière des interprétations établies en matière européenne. Car, comme le précise l’arrêt, « au-delà des catalogues de tels droits, les diverses formules qui les expriment s’intègrent en se complétant réciproquement dans l’interprétation »26. Cet élément de réciprocité dans l’interprétation permet de comprendre, par exemple, la justification selon laquelle le droit doit être interprété à la lumière des standards européens et/ou internationaux. De son côté, la Cour constitutionnelle de Colombie, très active, si ce n’est la plus active encore aujourd’hui en matière de protection des droits fondamentaux, n’a pas manqué de signaler, dans son arrêt n° T-426/92 en quoi il existe un « noyau essentiel des droits fondamentaux » 27 si fortement ancré dans la Constitution qu’il en représente un ordre de valeurs effectivement essentielles. Les droits fondamentaux sont devenus des standards constitutionnels reçus du droit international et des conventions. Ils doivent non seulement être réceptionnés dans les ordres constitutionnels internes mais encore promus comme des moyens venant à l’appui de la justification d’un constitutionnalisme contemporain global. 1.2. Qu’est-ce qu’un standard ? Mais en quel sens justement parle-t-on de “standard” et/ou de “standardisation” constitutionnelle ? L’usage de ce terme mis en valeur par les travaux de Roscoe Pound28, Ronald Dworkin29, Jerzy Wroblewski30, Neil MacCormick, Herbert L.A. Hart31, le fut aussi en France dans la célèbre thèse du professeur Stéphane Rials. Ce terme sert à désigner l’utilisation d’éléments de références tant comme des modèles à suivre – et tel est le cas précisément en matière de droits fondamentaux et de leurs « buts éducatifs »32 – que comme norme adoptée par l’usage selon des exigences de justice ou d’équité33 indépendamment des 26 Cour constitutionnelle italienne, sent. n°388, 13 octobre 1999, et notamment §2-1 : « Indipendentemente dal valore da attribuire alle norme pattizie, che non si collocano di per se stesse a livello costituzionale (tra le molte sentenze n. 188 del 1980 e n. 315 del 1990), mentre spetta al legislatore dare ad esse attuazione (sentenza n. 172 del 1987), è da rilevare che i diritti umani, garantiti anche da convenzioni universali o regionali sottoscritte dall’Italia, trovano espressione, e non meno intensa garanzia, nella Costituzione (cfr. sentenza n. 399 del 1998): non solo per il valore da attribuire al generale riconoscimento dei diritti inviolabili dell’uomo fatto dall’art. 2 della Costituzione, sempre più avvertiti dalla coscienza contemporanea come coessenziali alla dignità della persona (cfr. sentenza n. 167 del 1999), ma anche perché, al di là della coincidenza nei cataloghi di tali diritti, le diverse formule che li esprimono si integrano, completandosi reciprocamente nella interpretazione”. 27 « La interpretación y aplicación de la teoría del núcleo esencial de los derechos fundamentales está indisolublemente vinculada al orden de valores consagrado en la Constitución ». (http://www.corteconstitucional.gov.co/relatoria/1992/T-426-92.htm) 28 POUND, Roscoe, communication au congrès de l’American Bar Association, 1919. Cf. André TURC, « Standards juridiques et unification du droit », in Revue internationale de droit comparé, vol. 22 n°2, avril-juin 1970, p. 248. 29 DWORKIN, Ronald, Taking Rights Seriously, ….trad. française, Prendre les droits au sérieux, pp. 70-105 ; on retrouve cette idée abordée par Luc HEUSCHLING, « La Constitution formelle », in TROPER, Michel, CHAGNOLLAUD, Dominique (sous la dir. de), Traité international de droit constitutionnel. Théorie de la Constitution, Dalloz, Paris, 2012, p.287 30 WROBLEWSKI, Jerzy, « Les standards juridiques : problèmes théoriques de la législation et de l’application du droit ». 31 LETURCQ, Shirley, Standards et droits fondamentaux devant le Conseil constitutionnel français et la Cour Européenne des Droits de l’Homme, préface de Thierry S. Renoux, L.G.D.J., p. 109, note 478. 32 HÄBERLE, Peter, L’État constitutionnel, cit., p.155 « Objectifs éducatifs (droits de l’homme en tant que buts éducatifs), « pédagogie constitutionnelle » et valeurs directrices ». 33 C’est ainsi que, par exemple, Frédéric SUDRE conçoit à son tour ce terme, in la Convention européenne des droits de l’homme, PUF, 2004, p.47 : « la jurisprudence européenne traduit la recherche d’un délicat équilibre 5 spécificités propres aux ordres juridiques internes 34 . A son tour, Michel Rosenfeld utilise justement le terme « standard », dans ses nombreuses études de droit comparé, pour désigner un principe de résolution de conflits constitutionnels 35 mais encore un outil permettant de mieux comprendre l’universalisme constitutionnel36. Les standards constitutionnels viennent donc, à première vue, d’une constitutionnalisation des droits fondamentaux impliquant une mutation du constitutionnalisme suivant d’intenses relations entre des ordres juridiques différents37 ou selon une synergie constitutionnelle38, à savoir une relation coordonnée entre deux ordres juridiques. Plus largement, le paradigme de la standardisation constitutionnelle peut être décrit sous les diverses acceptions que l’on retient à propos de ce terme même de « standard » : 1) élément de modèle et d’harmonisation ; 2) règle ou norme adoptée par l’usage ; 3) principe de résolution universel de conflits et donc de régulation du système constitutionnel. Ainsi, ce que l’on nomme la « standardisation constitutionnelle » correspond donc à une réalité sous ces trois entrées, qui témoigne tant de la relation que de la coordination jurisprudentielle. En effet, comme l’a notamment souligné le professeur Rials, la standardisation permet de servir de référence à une conduite normative 39 en assurant plus particulièrement une mission de légitimation du discours du juge pour réguler un système donné. En effet, Le standard présente trois caractéristiques fonctionnelles essentielles dont il n’a d’ailleurs pas nécessairement l’exclusivité : - Il opère en fait sinon en droit un transfert du pouvoir créateur de droit de l’autorité qui l’édicte à l’autorité qui l’applique ou si ces deux missions sont assumées par la même autorité, il contribute à réserver le pouvoir de cette dernière; - Il assure trois missions rhétoriques liées de persuasion, de légitimation et de généralisation; - Il permet une régularisation permanente du système juridique.40 entre la définition d’une norme commune en matière de droits de l’homme (d’un « standard commun ») et la préservation des particularismes étatiques ». 34 Sur la spécificité de l’ordre juridique et la hiérarchie des normes, cf. BRUNET, Pierre, MILLARD, Eric & MERCIER, Jérémy (dir.), La fabrique de l’ordre juridique. Les juristes et la hiérarchie des normes, Ljubljana, Klub Revus, 2014, 303 pages. 35 ROSENFELD, Michel, « Repenser l’ordonnancement constitutionnel à l’ère du pluralisme juridique et du pluralisme idéologique », in RUIZ FABRI, H. & ROSENFELD, M. (dir.), Repenser le constitutionnalisme à l’âge de la mondialisation et de la privatisation, cit., p.139 à propos du standard de proportionnalité. 36 ROSENFELD, Michel, “Comparative Constitutional Analysis in United States Adjudication and Scholarship”, in ROSENFELD, Michel, SAJO, Andras, The Oxford Handbook of comparative constitutional law, Oxford, Oxford University Press, 2012, p.41. 37 RUGGERI, Antonio, “Rapporti tra Corte costituzionale e Corti Europee, Bilanciamenti interodinamentali e “controlimiti” mobili, a garanzia dei diritti fondamentali”, in Rivista tellematica giuridica dell’Associazione italiana dei costituzionalisti, n°1, 1er mars, 2011, pp.7-8. 38 BILANCIA, Paola, Possibili conflittualità e sinergie nella tutela dei diritti fondamentali ai diversi livelli istituzionali : http://www.giuripol.unimi.it/persone/Curriculum/BILANCIA/Conflittualita%20e%20sinergie%20tutela%20dei %20dritti.pdf 39 RIALS, Stéphane, Le juge administratif français et la technique du standard. Essai sur le traitement juridictionnel de l’idée de normalité, préface de Prosper Weil, Paris, LGDJ, 1980, p. 47 : “d’un point de vue matériel, le standard est un concept indéterminé, ayant trait aux valeurs fondamentales de la société et ayant pour objet l’analyse des comportements des acteurs juridiques par référence à un type moyen de conduite. Ce peut être aussi un outil plus complexe au service du juge, à l’aide duquel celui-ci, dans une saisie d’ensemble des situations juridiques, essaye d’apporter des solutions raisonnables aux litiges à lui soumis (…). D’un point de vue organique, le standard est un procédé plutôt, mais pas exclusivement, jurisprudentiel.”. 40 RIALS, Stéphane, Le juge administratif français et la technique du standard. Essai sur le traitement juridictionnel de l’idée de normalité, préface de Prosper Weil, Paris, LGDJ, 1980, p.120. 6 Le standard constitutionnel peut, sous cette forme, être tout à fait utilisé avec profit, selon ces trois acceptions, pour penser le constitutionnalisme contemporain et la protection des droits fondamentaux. 1.3. L’incorporation des standards En ce sens, la standardisation constitutionnelle est donc bien à la fois une opération de coordination et un modèle de légitimation de la « bienveillance envers les droits de l’homme »41 dans l’État constitutionnel. Elle assure la réception et la justification des droits fondamentaux pour faire gagner en normativité les constitutions actuelles selon une convergence42, une conversation constitutionnelle43 ou mieux encore une conciliation44 entre différents ordres de protection des droits selon des enjeux globaux45. On peut utiliser encore l’expression « scénario d’incorporation » (“the “incorportation” scenario”), forgée par Ran Hirschl, pour décrire précisément un tel mouvement de constitutionnalisation effective des droits fondamentaux, du droit international et des principes en matière de protection des droits de l’homme46. Les droits fondamentaux sont alors considérés comme des standards universels que les États doivent incorporer. Cette « incorporation » se fait de façon d’autant plus légitime qu’elle participe d’un mouvement d’internationalisation de la norme aboutissant pour cette raison à en renforcer l’objectivité47. En effet, par l’intermédiaire d’une telle pénétration des droits fondamentaux et du droit international dans les constitutions, accompagnées d’un mouvement de discussion entre les juges constitutionnels, les constitutions peuvent alors être considérées sous un nouvel angle, bien plus dynamique que le constitutionnalisme classique, en mouvement continu, selon l’universalisation des droits fondamentaux dans l’actualité48. Une telle politique des standards et de la réception et/ou constitutionnalisation des droits 41 HÄBERLE, Peter, L’État constitutionnel, cit., p.153 : « Venons ensuite aux principes qui se présentent comme des variations du thème de la bienveillance envers les droits de l’homme (Menschenrechtsfreundlichkeit). Les catalogues nationaux des droits fondamentaux, même lorsqu’ils garantissent des droits du citoyen et des droits de l’homme, doivent être interprétés conformément aux droits de l’homme. » 42 Il en va de même, bien entendu, en ce qui concerne le juge administratif et sa convergence ou « imitation » avec les modèles étrangers. Cf. MELLERAY, Fabrice, « L’imitation des modèles étrangers en droit administratif », AJDA 2004, p.1224 ; CONNIL, Damien, L’office du juge administratif et le temps, préface de Denys de Béchillon, Paris, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », 2012, p. 1. 43 PONTHOREAU, Marie-Claire, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), Paris, Economica, 2010 44 Pour reprendre une expression utilisée dans une opinion dissidente, Cour constitutionnelle de Lituanie, 8/2012, On the prohibition for a person, who was removed from office under procedure for impeachment proceedings, to stand in elections for a Member of the Seima, 8/2012, 5 septembre 2012. 45 TUSHNET, Mark, « The inevitable globalization of Constitutional Law », in Virginia Journal of International Law, vol. 49, 4, 2009, pp.985-1006. 46 HIRSCHL, Ran, Towards Juristocracy. The Origins and Consequences of the New Constitutionalism, Harvard University Press, 2004, pp. 6-8. 47 FONTAINE, Laureline, « La « dynamique » constitutionnelle en Europe », communication au Congrès de l'Association internationale de droit constitutionnel, Mexico, Décembre 2010 (Atelier n° 15, l'impact du droit international sur le droit constitutionnel). 48 Même si ce mouvement pourrait être considéré comme plus ancien si l’on s’en réfère au cours de l’Académie de droit international de La Haye par Paul de Visscher sur les tendances internationales des constitutions modernes : VISSCHER de, Paul, « Les tendances internationales des constitutions modernes », R.C.A.D.I., 1952/I, tome 80, p.515. 7 fondamentaux repose donc sur un tel “impératif démocratique contemporain” 49 qui vise à l’établissement le plus large possible de l’État de droit ou État constitutionnel de droit 50 qu’une convergence dans l’interprétation de ces droits ne saurait être que plus activement nécessaire. C’est la raison pour laquelle la protection constitutionnelle selon les standards incorporés est notamment liée à l’impossibilité fondamentale, pour un État, « de se soustraire à des obligations qui lui incombent en vertu du droit international ou des traités en vigueur »51. Comme le soulignent les professeurs Michel Rosenfeld, Andras Sajo ou encore Sujit Choundhry, cette protection est aussi un instrument de justification très intéressant lorsqu’elle s’effectue, par le recours au droit comparé, lors de l’élaboration des nouvelles constitutions 52 . Le scénario de l’incorporation, qui consiste en une réception dans l’ordre juridique interne des droits fondamentaux dans les constitutions, est donc bien un trait novateur du constitutionnalisme contemporain (« néoconstitutionnalisme ») : il consiste en l’incorporation d’« obligations objectives » en matière de garantie des droits de l’homme. Pour reprendre une expression tirée de l’arrêt Irlande contre Royaume-Uni du 18 janvier 1978 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme c’est justement parce que ces droits fondamentaux sont des obligations objectives et non pas relatives qu’ils doivent bénéficier « d’une garantie collective » 53. L’incorporation dans les constitutions de ces standards que sont ces droits fondamentaux à « obligations objectives » illustre parfaitement les évolutions même de cette standardisation. 1. 4. Une standardisation constitutionnelle « en génération » En reprenant ici volontairement l’expression bien connue de Norberto Bobbio sur les droits de l’homme « en génération »54, on peut mieux décrire la façon dont la standardisation constitutionnelle est justifiée par les acteurs juridiques. Cette justification est précisément « en génération » parce qu’elle s’est faite de façon progressive. Une telle progression qui, bien évidemment, débute à partir de la jurisprudence Lüth de la Tribunal constitutionnel fédéral allemand en 1958 – standardisation progressive des valeurs constitutionnelles – et se développe, de façon transnationale et concomitamment à partir de la jurisprudence Costa c. E.N.E.L. rendue par la Cour de Luxembourg le 15 janvier 196455 , relative à l’application 49 BOUTROS GHALI, Boutros, Conférence inaugurale de l’Académie Internationale de Droit Constitutionnel, Constitution et Droit International, Recueil des Cours 8, Centre de Publication Universitaire, Tunis, 2000, p. 19. 50 ROSENFELD, Michel, “The Rule of Law and the Legitimacy of Constitutional Democracy”, in Southern California Law Review, voL. 74, 2001, pp.1307-1351. 51 Cour Permanente de Justice Internationale, affaire « Traitement des nationaux polonais et des autres personnes d’origine ou de langue polonaise dans le territoire de Dantzig », série A/B, n°44, p.24. 52 ROSENFELD, Michel & SAJO, Andras, The Oxford Handbook of comparative constitutional law, “Introduction”, Oxford, Oxford University Press, 2012, p.9 ; CHOUDHRY, Sujit, “Globalization in Search of Justification: Towards a Theory of Comparative Constitutional Interpretation”, Indiana Law Journal 74 (3), 1999, pp. 819-892. 53 Cour Européenne des Droits de l’Homme, décision Irlande contre Royaume-Uni, 18 janvier 1978, Req. n°5310/71, §239. 54 CHAMPEIL-DESPLATS, Véronique, Norberto Bobbio : pourquoi la démocratie ?, Paris, Michel Houdiard, 2008. 55 C.J.C.E., affaire 6/64, Costa c. E.N.E.L., Recueil 1964, p.1141 : « la force exécutive du droit communautaire ne saurait en effet varier d’un État membre à l’autre à la faveur des législations internes ultérieures sans mettre en péril la réalisation des buts du traité ». On renvoie ici à BREWER, Mark Killian, « The European Union and legitimacy: time for a European Constitution », in Cornell International Law Journal, Cornell University, 2001, 8 uniforme et à la force exécutive du droit communautaire. D’un côté, en effet, la standardisation des droits fondamentaux s’effectue État par État, sous influence et impulsions de l’activité jurisprudentielle de la Cour allemande. De l’autre, elle se généralise de façon transnationale, en rendant les systèmes étatiques de moins en moins imperméables les uns aux autres, en cherchant progressivement, par influence du droit communautaire, un droit constitutionnel commun. Cet argument de l’identité conventionnelle du nouveau constitutionnalisme en matière de droits fondamentaux, c’est-à-dire la réception standardisée de ces derniers dans les constitutions nationales sur fond d’un droit qui est donc transnational56, illustre encore en quoi l’activité des juges devient de plus en plus une activité d’emprunts et de conversations non seulement juridictionnelles entre États mais encore extrajuridictionnelles, entre États et institutions internationales. A titre d’illustration, quatre arrêts de la Cour constitutionnelle italienne pourraient semble-t-il mettre en évidence cette progression vers l’identité conventionnelle du nouveau constitutionnalisme. 1.5. Les droits fondamentaux comme standard et paramètre de constitutionnalité dans la jurisprudence de la Cour italienne. Premièrement, intéressons-nous à l’arrêt n°376 (2000) du 12 juillet 2000 relatif à une situation d’expulsion du conjoint d’une femme enceinte. Dans cet arrêt, les juges constitutionnels italiens s’appuient, alinéa 6, sur cette nécessaire synergie dans la réception conventionnelle des droits fondamentaux (et dans leur protection constitutionnelle) : ils mettent précisément l’accent sur l’existence des droits de l’homme, garantis par la constitution italienne (not. arts. 2 et 10) en tant qu’ils se conforment aux normes internationales 57 , mais encore ils rappellent la nécessaire interprétation conventionnelle (CEDH, Pactes de l’ONU, Convention de New York) exemple s’il en est de la nécessaire imbrication des ordres juridiques entre eux afin d’assurer une « convivialité démocratique », pour reprendre l’expression du professeur Zagrebelsky58. Deuxièmement, les arrêts n°347 et 348 du 22 octobre 2007 de la Cour italienne témoignent à leur tour du caractère cette fois-ci « impératif » du respect des droits fondamentaux, au sens au non pas seulement d’« une norme communautaire suggérée aux États membres » mais bien plutôt d’une « directive » obligatoire59 de ces derniers qui ne sauraient, en aucun cas, ne pas être protégés60. En cet pp.559: « In the early 1960s, the Court established the foundation for neoconstitutionalism that has come to characterize the Communities by establishing the concept of supremacy of Community law its landmark 1964 case Costa v. ENEL. ». 56 JACKSON, Vicki C., « Comparative constitutional law : methodologies », in ROSENFELD, Michel, SAJO, Andras, The Oxford Handbook of comparative constitutional law, Oxford, Oxford University Press, 2012, p.59. 57 Cort. cost., sentenza n°376/2000, 12 juillet 2000, §1 : « Secondo il rimettente l'art. 2 Cost. riconosce anche allo straniero i diritti inviolabili dell'uomo, sia come singolo sia nelle formazioni sociali ove si svolge la sua personalità, mentre l'art. 10 Cost. gli riconosce i diritti derivanti dalle norme e dai trattati internazionali; il diritto di formare una famiglia e di mantenere l'unità del nucleo familiare, previsti dall'art. 12 della Convenzione europea per la salvaguardia dei diritti dell'uomo e delle libertà fondamentali, sottoscritta a Roma il 4 novembre 1950 e ratificata dall'Italia con la legge 4 agosto 1955, n. 848, così come tutti i diritti e le potestà di cui agli artt. 29 e 30 Cost., dovrebbero perciò essere garantiti allo straniero come al cittadino ». 58 ZAGREBELSKY, Gustavo, Le droit en douceur ; Id., La legge e la sua giustizia. XX. 59 Cort. cost., sentenze n°347 e n°348/2007, 22 octobre 2007, §1-5 : « Non sembra infatti sostenibile la tesi dell’avvenuta «comunitarizzazione» della CEDU, ai sensi del par. 2 dell’art. 6 del Trattato di Maastricht del 7 febbraio 1992, in quanto il rispetto dei diritti fondamentali, riconosciuti dalla Convenzione, costituisce una direttiva per le istituzioni comunitarie e «non una norma comunitaria rivolta agli Stati membri». 9 autre sens, la Cour constitutionnelle italienne ne fait pas autre chose que de confirmer que les droits fondamentaux contenus dans les Conventions, en l’espèce, dans la CEDH, trouvent leur expression dans la constitution. Ils jouent ainsi un rôle de standard dans l’interprétation et l’application de la jurisprudence sur les lois et l’on peut justement penser que de telles normes internationales intègrent le paramètre de constitutionnalité61. Ce processus de standardisation peut ainsi être considéré comme un nouvel enjeu dans les sources du droit dans la mesure où le droit international et le droit conventionnel garantissant les droits fondamentaux s’appliquent alors de façon « constitutionnalisée » en promouvant des standards qui limitent les États62, au niveau national et international. Enfin, l’arrêt italien n°277 du 24 juin 201063 rappelle à quel point l’État doit se conformer aux décisions cadres du Conseil de l’Europe. C’est ainsi qu’une telle exigence se comprend aussi à la lumière des interprétations réciproques et des conversations des juges constitutionnels devant faire preuve d’une « technique d’interprétation harmonisante » 64 avec l’ordre de valeurs de ces standards en matière de droits fondamentaux. 1.6. La standardisation par la « transcription » De surcroît, comme le soutiennent pour l’Amérique latine les tenants d’un néoconstitutionnalisme très normatif, les professeurs Carlos Bernal Pulido et Miguel Carbonell, un nouveau paradigme constitutionnel s’est justement mis en place au Mexique ou en Colombie avec les standards reçus dans les constitutions par l’inclusion d’instruments de garanties internationales des droits de l’homme. Ainsi, qu’il s’agisse de la Commission des Droits de l’Homme des Nations-Unies, des Cours Européennes ou bien de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme65, les droits substantiels reconnus dans les traités et conventions internationales sont devenus très rapidement les fondements constitutionnels de la validité du nouveau droit constitutionnel66. On peut ainsi parler, comme Robert Alexy, de 60 NANIA, Roberto (ed.), L’evoluzione costituzionale delle libertà e dei diritti fondamentali. Saggi e casi di studio, Giappichelli, Torino, 2012. 61 GIUPPONI, Tommaso F., « Corte costituzionale, obblighi internazionali e “controlimiti allargati”: che tutto cambi perché tutto rimanga uguale? », in Forum di Quaderni Costituzionali, 62 DE SENA, Pasquale, « Giustizia internazionale », in JURA GENTIUM, Revue de philosophie du droit international et de la politique globale, pp. 1-36. 63 Cour constitutionnelle italienne, arrêt n°277, 24 juin 2010, http://www.giurcost.org/decisioni/2010/0227s10.html 64 SCHEFOLD, Dian, « L’osservanza dei diritti dell’uomo garantiti nei trattati internazionali da parte del giudice italiano », in Forum di Quaderni Costituzionali, 2007. 65 BERNAL PULIDO, Carlos, « La metafisica de los derechos humanos », in Revista Derecho del Estado, n°25, décembre 2010, Bogotà, Departamento de Derecho Constitucional-Universidad Externado de Colombia, p. 118 et p. 124 et ss. sur « la inclusion del derecho en los instrumentos internacionales sobre derechos humanos ». 66 BERNAL PULIDO, Carlos, « Los derechos fundamentales en la jurisprudencia del Tribunal Electoral del Poder Judicial de la Federacion », México, Tribunal Electoral del Poder Judicial de la Federación, Serie Temas Selectos de Derecho Electoral, 2009, p.28 : « Esto implicaría que los derechos humanos o fundamentales protegidos por normas internacionales o supranacionales no tendrían dentro del Estado, estrictamente, el carácter de derechos fundamentales. Esta consecuencia parece incompatible con la práctica actual de los estados europeos, en los cuales los derechos fundamentales protegidos por el derecho europeo tienen este estatus también en el orden interno, así como también lo tienen los derechos humanos que están protegidos por el sistema europeo de derechos humanos. Dicha consecuencia también es incompatible con la práctica constitucional de ciertos estados latinoamericanos —como Colombia y como México (artículo 133 de la Constitución), por ejemplo— cuyas constituciones confieren validez en el orden interno a los tratados internacionales sobre derechos humanos suscritos en debida forma. » 10 conception substantielle des droits constitutionnels67. L’arrêt 799/2003 du Cuarto Tribunal Colegiado du Mexique en date du 21 avril 2004 a rappelé, il y a tout juste 10 ans, un tel fondement substantiel pour le nouveau droit : conformément à l’article 133 de la Constitution (…) tous les traités (…) seront la loi suprême de toute l’Union. Dès lors, quand les traités internationaux règlementent et amplifient les droits fondamentaux protégés par la Carta Magna, ils doivent s’appliquer sur les lois fédérales qui n’y parviennent pas68 Certes, dira-t-on, dans un autre arrêt n°344/2008 en date du 10 juillet 2008, la Suprema Corte de Justicia de la Nación a néanmoins précisé que les traités internationaux, bien qu’au-dessus des lois, n’en étaient pas moins au-dessous de la Constitution du Mexique 69 . Mais cela n’interfère aucunement, selon l’illustration française de la jurisprudence IVG, avec le paradigme de « l’internationalisation des Constitutions nationales », aujourd’hui à l’œuvre dans le monde entier, et en Amérique latine en particulier. En effet, les utilisations de méthodes convergentes peuvent être plurielles : elles consistent précisément en une standardisation par l’emprunt des jurisprudences ou méthodes étrangères. La force étonnante des standards que sont les droits fondamentaux leur permet d’attribuer un niveau hiérarchique très élevé aux droits reconnus au niveau international 70 . La Cour constitutionnelle de Colombie, exemplaire en matière de constitutionnalisme contemporain, dans son arrêt C225/95 du 18 mai 1995 71 , a reconnu par exemple que les normes dérivées du droit international humanitaire tenaient un rang hiérarchiquement si élevé par rapport à d’autres normes que leur protection dans le « bloc constitutionnel » (les juges colombiens citant à l’appui de leur justification le Doyen Favoreu) devait être « impérative » : 67 ALEXY, Robert, « Rights and Liberties as Concepts », in ROSENFELD, Michel, SAJO, Andras (Eds.), The Oxford Handbook of comparative constitutional law, “Introduction”, Oxford, Oxford University Press, 2012, p.289. 68 Cuarto Tribunal Colegiado en materia administrativa del primer circuito, en el amparo en revisión 799/2003 (Ismael González Sánchez y otros, 21 de abril de 2004. Unanimidad de votos. Ponente: Hilario Bárcenas Chávez. Secretaria: Mariza Arellano Pompa) : « Conforme al artículo 133 constitucional, la propia Constitución, las leyes del Congreso de la Unión que emanen de ella y todos los tratados que estén de acuerdo con la misma, celebrados y que se celebren por el presidente de la República, con aprobación del Senado, serán la ley suprema de toda la Unión. Ahora bien, cuando los tratados internacionales reglamentan y amplían los derechos fundamentales tutelados por la Carta Magna, deben aplicarse sobre las leyes federales que no lo hacen (…) ». (http://ius.scjn.gob.mx/Documentos/Tesis/180/180431.pdf) 69 Semanario Judicial de la Federación y su Gaceta, XXVIII, agosto de 2008, Materia(s): Común, Tesis: I.7o.C.46 K, p. 1083. A su vez, debe indicarse que la tesis de rubro: “TRATADOS INTERNACIONALES. SE UBICAN JERÁRQUICAMENTE POR ENCIMA DE LAS LEYES FEDERALES Y EN UN SEGUNDO PLANO RESPECTO DE LA Constitución FEDERAL.” citada, aparece publicada con el número P. LXXVII/99 en el Semanario Judicial de la Federación y su Gaceta, Novena Época, Tomo X, noviembre de 1999, p. 46 : « Por su parte, la Suprema Corte de Justicia de la Nación ubicó a los tratados internacionales por encima de las leyes federales y por debajo de la Constitución, según la tesis del rubro: “Tratados internacionales. se ubican jerárquicamente por encima de las leyes federales y en un segundo plano respecto de la Constitución federal.” (IUS 192867). De ahí que si en el amparo es posible conocer de actos o leyes violatorios de garantías individuales establecidas constitucionalmente, también pueden analizarse los actos y leyes contrarios a los tratados internacionales suscritos por México, por formar parte de la Ley Suprema de toda la Unión en el nivel que los ubicó la Corte. Por lo tanto, pueden ser invocados al resolver sobre la violación de garantías individuales que involucren la de los derechos humanos reconocidos en los tratados internacionales suscritos por México. » 70 DONDÉ MATUTE, Javier, « El derecho internacional y su relevancia en el sistema jurídico mexicano. Una perspectiva jurisprudencial », in Anuario Mexicano de Derecho Internacional, vol. IX, 2009, pp. 191-217. 71 http://www.corteconstitucional.gov.co/relatoria/1995/c-225-95.htm 11 le caractère impératif des normes humanitaires et leur intégration dans le bloc de constitutionnalité implique que l’État colombien adapte les normes de rang inférieur de l’ordre juridique interne au contenu du droit international humanitaire, afin de maximiser la réalisation matérielle de telles valeurs72 Ainsi, la standardisation constitutionnelle passe donc par une « transcription » interne de ce que Luigi Ferrajoli nomme des « limites externes et non plus seulement internes aux pouvoirs publics »74. Les standards que sont les droits fondamentaux, comme, selon notre définition initiale 1) éléments de modèle et d’harmonisation ; 2) règles ou normes adoptées par l’usage ; 3) principes de résolution universel de conflits et donc de régulation du système constitutionnel permettent donc de défendre un modèle constitutionnel commun de garantie contre l’arbitraire. Mais il reste encore un autre type de conversation constitutionnelle illustrée par la standardisation : le recours aux doctrines étrangères. Cette standardisation n’est donc plus calquée sur le modèle de l’interprétation « harmonisante » ou encore de la conversation juridictionnelle, à l’image, fort bien décrite par Ronny Abraham, d’un « processus par lequel la juridiction nationale et la juridiction internationale contribuent ensemble à fixer l’interprétation, d’une norme de droit international, dont l’une et l’autre, la juridiction interne et la juridiction internationale, sont appelées à peu près concomitamment à faire application »75. Plus encore, la standardisation peut aussi consister en une conversation extra-juridictionnelle, notamment par le recours à la doctrine. 73 1.7. Le recours à la doctrine étrangère Outre la référence au Doyen Favoreu dans l’arrêt colombien susmentionné, l’arrêt n° 72 Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt n°C-225/95, 18 mai 1995, II, §12 : « la imperatividad de las normas humanitarias y su integración en el bloque de constitucionalidad implica que el Estado colombiano debe adaptar las normas de inferior jerarquía del orden jurídico interno a los contenidos del derecho internacional humanitario, con el fin de potenciar la realización material de tales valores. » précédé d’un examen de la notion de « bloc de constitutionnalité » renvoyant à la conception de Louis Favoreu : « La Corte considera que la noción de "bloque de constitucionalidad", proveniente del derecho francés pero que ha hecho carrera en el derecho constitucional comparado, permite armonizar los principios y mandatos aparentemente en contradicción de los artículos 4º y 93 de nuestra Carta. Este concepto tiene su origen en la práctica del Consejo Constitucional Francés, el cual considera que, como el Preámbulo de la Constitución de ese país hace referencia al Preámbulo de la Constitución derogada de 1946 y a la Declaración de Derechos del Hombre y del Ciudadano de 1789, esos textos son también normas y principios de valor constitucional que condicionan la validez de las leyes. Según la doctrina francesa, estos textos forman entonces un bloque con el articulado de la Constitución, de suerte que la infracción por una ley de las normas incluidas en el bloque de constitucionalidad comporta la inexequibilidad de la disposición legal controlada. Con tal criterio, en la decisión del 16 de julio de 1971, el Consejo Constitucional anuló una disposición legislativa por ser contraria a uno de los "principios fundamentales de la República" a que hace referencia el Preámbulo de 1946. » 73 COMBACAU, Jean, « Sources internationales et européennes du droit constitutionnel », in TROPER, Michel, CHAGNOLLAUD, Dominique (sous la dir. de), Traité international de droit constitutionnel. Théorie de la Constitution, Dalloz, Paris, 2012, p.430. 74 FERRAJOLI, Luigi, « Diritti fondamentali », in Teoria Politica, XVI, 2, 1998, p.8 ; « Fundamental rights », in International Journal for the Semiotics of Law, 2001, Volume 14, Issue 1. 75 ABRAHAM Ronny, « Le juge administratif et le droit international et européen. Le dialogue des juges », in BONNET Baptiste (dir.), Regards de la communauté juridique sur le contentieux administratif : Hommage à Daniel Chabanol, Actes du colloque organisé le 3 déc. 2005 par le CERAPSE, Presses universitaires de SaintEtienne, 2009, p.34. 12 1710-2010 de la Cour constitutionnelle du Chili 76 est tout à fait emblématique de cette méthode par le recours non plus seulement au droit comparé ou aux jurisprudences étrangères mais par le recours aux doctrines étrangères, en l’occurrence celle de Robert Alexy relative aux droits fondamentaux et à la pondération. Les juges chiliens, le 6 août 2010, à l’occasion de l’examen de la constitutionnalité de l’article 38 ter de la Loi Nº 18.933 ont eu à confronter des principes entre eux. Ils ont retenu que l’appui sur la doctrine étrangère, en l’occurrence la théorie des droits fondamentaux de Robert Alexy, permettait notamment de distinguer « principes » et « règles ». D’un autre côté, les juges brésiliens de la Cour Suprême Fédérale dans un arrêt ADI 2.240 du 9 mai 200777 firent usage relativement abondant des idées de André de Laubadère 78 , Léon Duguit 79 avant de citer Georg Jellinek ou plus loin encore Maurice Hauriou80. De tels usages de la doctrine étrangère, ici résumés, viennent précisément consolider l’idée selon laquelle une autre étape de la standardisation constitutionnelle passe par l’influence ou la « conversation » juridictionnelle avec la doctrine. S’il va de soi que de tels standards puisés dans la doctrine peuvent correspondre aussi à une « pénétration (des dispositions du droit international des droits de l’homme) au cœur même du sanctuaire de la souveraineté »81, il s’agit surtout de composer des jurisprudences modelées sur des critères assurant aux juges constitutionnels, qui cherchent à résoudre des conflits relatifs à « de nouveaux secteurs appartenant à tous les champs juridiques »82, la protection des principes matériels communs, du « patrimoine commun des Etats membres »83 que sont les droits de l’homme. Et cette protection ne se trouve semble-t-il pas mieux assurée que lorsqu’elle 76 Cour constitutionnelle du Chili, arrêt n° 1710-2010, 6 août 2010 : « Es lo que Robert Alexy denomina relación entre los conceptos de norma de derecho fundamental y derecho fundamental: “Siempre que alguien posee un derecho fundamental, existe una norma válida de derecho fundamental que le otorga ese derecho. Es dudoso que valga lo inverso”. Esta diferencia debe acompañarse de otra distinción propuesta por el autor, la existente entre principios y reglas, siendo los principios “aquellas normas que ordenan que algo sea realizado en la mayor medida posible, dentro de las posibilidades jurídicas y reales posibles”, o sea entendidas como “mandatos de optimización”, mientras que “las reglas son normas que pueden ser cumplidas o no. Si la regla es válida, entonces de (sic) hacerse exactamente lo que ella exige, ni más ni menos. Por lo tanto, las reglas contienen determinaciones en el ámbito de lo fáctica y jurídicamente posible”, concluyendo: “Esto significa que la diferencia entre reglas y principios es cualitativa y no de grado. Toda norma es o bien una regla o un principio” (Robert Alexy: Teoría de los Derechos Fundamentales, Centro de Estudios Políticos y Constitucionales, Madrid, 2002, pp. 47, 86-87) » et plus loin : « NONAGESIMOTERCERO: Que los derechos consagrados en las disposiciones constitucionales que se estimaron vulneradas por la aplicación concreta del artículo 38 ter en las sentencias de inaplicabilidad que dan sustento al proceso de autos, esto es, aquellos que aseguran a toda persona los numerales 2°, 9° y 18° del artículo 19 de la Constitución, son: a) fundamentales, apegándose a los citados criterios entregados por la doctrina, y b) corresponden a lo que Alexy denomina normas de principios, esto es, mandatos de optimización, cuya dilucidación en caso de conflicto debe ser abordada con el criterio de la ponderación ». (http://www.tribunalconstitucional.cl/wp/ver.php?id=1479). 77 Cour Suprême Fédérale du Brésil, 9 mai 2007, ADI 2.240 : http://www.stf.jus.br/imprensa/pdf/adi2240.pdf 78 Au §6, dans son Traité élémentaire de droit administratif, 4éme. ed. LGDJ, Paris, 1.967, p. 17. 79 Au §6 aussi, dans son Traité de droit constitutionnel, 2éme edition, t. I, Ancienne Librairie Fontemoing & Cie., Paris, 1.921, p. 254-255. 80 Au § 11, dans ses Notes d'arrêts sur décisions du Conseil d'État et du Tribunal des Conflits (tome troisième, Sirey, Paris, 1.929, pág. 173) : « MAURICE HAURIOU menciona “... cette idée très juste que les lois ne sont faites que pour un certain état normal de la société, et que, si cet état normal est modifié, il est naturel que les lois et leurs garanties soient suspendus”. E prossegue: “C’est très joli, les lois; mais il faut avoir le temps de les faire, et il s’agit de ne pas être mort avant qu’elles ne soient faites”. 81 VIRALLY, Michel, Cours général de Droit international public, RCADI, 1983, t. 183, p.124. 82 CERDA-GUZMAN, Carolina, op.cit., p.454. 83 SUDRE, Frédéric, « Constitutions et protection internationale des droits de l’homme », in Constitution et Droit international, Académie internationale de droit constitutionnel, Recueil des cours VIII, 2000, p. 257. 13 devient un moyen de justification pour cette figure centrale qu’est devenu le juge 84 . En Europe ou dans le reste du monde, c’est donc par l’intermédiaire de la standardisation de normes perçues comme fondamentales85 que le juge constitutionnel peut aussi construire un moyen de justification rhétorique pour assurer l’impérativité de la protection des droits de l’homme. Pour un tel objectif, le recours à l’argument de la proportionnalité et la justification du principe de sécurité juridique permettent de justifier la standardisation d’un modèle d’interprétation et de décision. 2. La standardisation comme moyen de justification du dialogue des juges Le plus souvent à l’appui de l’argument de préservation du principe de « sécurité juridique », la référence au principe de « proportionnalité » comme garant, dans l’interprétation constitutionnelle, des droits de l’homme dans l’État constitutionnel de droit, n’est pas dépourvue d’intérêt. De récents arrêts de Cours constitutionnelles en témoignent. D’une part, en mettant clairement en évidence la convergence dans l’utilisation commune de ce principe. D’autre part, en soulignant la pertinence de l’usage d’un tel principe pour protéger de façon optimale les standards en matière de droits fondamentaux qui viendraient à être restreints lors d’un conflit à résoudre. 2.1. L’argument rhétorique de la proportionnalité Le 2 novembre 2004, la Cour constitutionnelle d’Ukraine, dans un arrêt concernant l’inconstitutionnalité d’un article du Code pénal de ce pays interdisant aux juges de prononcer une peine plus clémente que la peine plancher prévue par la loi en cas d’infractions mineures, n’a pas manqué de relever le caractère fondamental du principe de proportionnalité en matière d’atteinte portée à l’effectivité de certains droits constitutionnels. De même que les juges de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne qui, près de dix ans plus tard, dans un arrêt 2 BvR 2122/11 du 6 février 2013 ont rappelé que le contrôle et critère « strict de proportionnalité » (strikten Verhältnismäßigkeitsprüfung) 86 permet de déterminer les conditions les plus justifiées d’un placement en détention rétroactif d’une personne condamnée ayant déjà purgé sa peine après internement psychiatrique, de même ce caractère fondamental du principe de proportionnalité intervient toujours comme un argument rhétorique pour concilier 1) sécurité juridique, 2) droits fondamentaux et 3) justification de la peine, tout en s’appuyant sur les intérêts légitimes aux cas d’espèces. De la même façon, l’arrêt Saskatchewan (H.R.C.) v. Whatcott du 27 février 2013 de la Cour suprême du Canada87 met en évidence cette réception du standard constitutionnel de la proportionnalité en matière d’interprétation. En l’espèce, pour mesurer l’avantage lié quant à 84 PONTHOREAU, Marie-Claire, « L’argument fondé sur la comparaison dans le raisonnement juridique », in LEGRAND, P., (dir.), Comparer les droits, résolument, PUF, coll. « Les voies du droit », Paris, 2009, p.542. 85 SUDRE, Frédéric, La convention européenne des droits de l’homme, PUF, 2004, p.5 ; Loizidou c/ Turquie, 23 mars 1995, GACEDH, n°1, §75 ; PONTHOREAU, Marie-Claire, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), Paris, Economica, 2010, p.265-266 sur ce paradigme constitutionnalisme / droits fondamentaux / juristocratie. 86 Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne, Deuxième Sénat, 6 février 2013, 2 BvR 2122/11, 2 BvR 2705/11, § IV, B-I : https://www.bundesverfassungsgericht.de/entscheidungen/rs20130206_2bvr212211.html. 87 Cour suprême du Canada, 27 février 2013, Saskatchewan (Human Rights Commission) v. Whatcott, 2013 SCC 11 : http://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/en/item/12876/index.do 14 la suppression, dans l’espace public, d’un discours haineux (incitation à la haine contre des personnes en raison de leur orientation sexuelle) relativement à l’inconvénient des effets d’une limitation du principe de liberté d’expression. Dans cet autre cas, le recours à l’argument de la proportionnalité permet de justifier la protection fondamentale de la dignité humaine, par l’élimination directe de toute forme de discours haineux. Les juges canadiens opèrent à leur tour, comme les juges ukrainiens ou allemands, un calcul en matière de droits fondamentaux. Le résultat étant toujours justifié par le moyen ayant permis de le réaliser : le recours à la proportionnalité. Un mois plus tard, les juges du Tribunal constitutionnel du Portugal, dans un arrêt du 5 avril 2013 88 , ont d’ailleurs utilisé ce moyen rhétorique pour empêcher la suspension du versement du mois de salaire complémentaire pour les agents de la fonction publique. L’argument de la proportionnalité leur permettant de s’appuyer notamment, dans un contexte économique délicat, sur les intérêts supérieurs de la fonction publique et de la solidarité. 2.2 La proportionnalité comme paramètre fondamental du constitutionnalisme contemporain : le standard et la standardisation des cultures constitutionnelles. De tels exemples nourrissent avec profit l’idée selon laquelle, comme l’établit clairement le juge et professeur Aharon Barak, « la proportionnalité a été largement reçue. Elle fait maintenant partie de nombreux systèmes juridiques. C’est une manifestation de la migration ou de la transplantation des droits. Car nous vivons aujourd’hui à l’ère de la proportionnalité »89. En effet, la circulation de ce principe permet de lui conférer son caractère de standard, ce qui est également pensé par les professeurs Alec Stone Sweet90 ou Bernard Schlink91 au titre de paramètre fondamental du constitutionnalisme contemporain. C’est en ce sens qu’il nous est permis d’induire que le recours à ce principe par les juges constitutionnels témoigne non seulement de l’usage d’un standard et encore d’un moyen de standardisation des cultures constitutionnelles92. Mais un tel argument, dont les implications pratiques sont assez fortes en terme de protection des droits de l’homme et de préservation des intérêts de la 88 Tribunal constitutionnel du Portugal, 5 avril 2013, Acórdão N.o 187/2013 : http://www.europeanrights.eu/public/sentenze/Portogallo-5aprile2013-187.2013.pdf 89 BARAK, Aharon, Proportionality. Constitutional Rights and their Limitations, transl. from the hebrew by Doron Kalir, New York, Cambridge University Press, 2012, p.457. 90 STONE SWEET, Alec & MATHEWS, Jude, « Proportionality Balancing and Global Constitutionalism », Columbia Journal of Transnational Law, 68, 2008, pp.73-165, not. p. 80 comme « standard constitutionnel global ». 91 SCHLINK, Bernard, « Proportionality (I) », in Michel Rosenfeld, Andras Sajo (ed.), The Oxford Handbook of Comparative Constitutional Law,cit., pp. 731-735 : « With the far-reaching constitutional protection of rights and freedoms, the principle of proportionality spread across Europe, into the Commonwealth, to Israel, Central and South America, and beyond. In European countries lacking constitutionality protected rights and freedoms or constitutional review, implementation of the European Convention on Human Rights into the national legal system leads also to implementation of the principle of proportionality in the national jurisprudence. The European Court of Justice, the European Court of Human Rights, and the Panels and the Appellate Body of the World Trade Organization all operate under the principle of proportionality. » (p.732). 92 SCHLINK, Bernard, « Proportionality (I) », in Michel Rosenfeld, Andras Sajo (ed.), The Oxford Handbook of Comparative Constitutional Law,cit., p.736 : « Application of the principle has had and will have a standardizing effect on different constitutional cultures. Constitutional cultures with a doctrinal tradition will progressively be transformed in the direction of a culture of a case law (…) Another way of viewing this is that the principle of proportionality does not have a standardizing effect on different constitutional cultures, but rather that it is a standard that constitutional cultures share and that they become more and more aware of ». 15 société ne repose-t-il pas, avant tout, sur une fiction de l’interprète qui y recourt ? Ainsi, particulièrement typique du nouveau constitutionnalisme 93 , ce recours au standard de la proportionnalité n’en reste pas moins, bien que théorisé avec une même netteté par Robert Alexy94 ou Carlos Bernal Pulido95, tributaire d’une certaine interprétation discrétionnaire liée au recours à une échelle de valeurs96. Si en effet le principe de proportionnalité s’est répandu sous la forme d’un standard dans l’interprétation constitutionnelle, comment toutefois ne pas percevoir que cet usage ne repose pas néanmoins sur une formalisation claire mais sur une justification par degré d’affectation et de préférence, donc sur une justification plutôt d’ordre axiologique97. L’argument de la proportionnalité dans les décisions constitutionnelles semble donc bien un outil rhétorique permettant aux juges de justifier une « optimisation » des droits fondamentaux98 sans qu’il n’y ait de doute quant à la pertinence d’un tel recours. Et il vrai qu’un tel standard permet justement de justifier, comme un canon interprétatif, l’interprétation constitutionnelle et l’illusion d’un « dialogue des juges » qui repose toutefois sur l’usage de mêmes standards communs. Cela étant, d’autres principes témoignent de cette standardisation constitutionnelle, non plus seulement pour la méthode d’interprétation du droit, mais dans la structure du droit lui-même : il en va en particulier du recours au principe de sécurité juridique. 2.3. Exemple d’un standard transconstitutionnel : la sécurité juridique Comme nous le rappelle le professeur Guillaume Tusseau dans une contribution sur les dialogues transconstitutionnels99, un arrêt du Tribunal Suprême de Justice du Venezuela, du 17 octobre 2011, convoque l’argument de « standards pour résoudre le conflit entre les 93 POZZOLO, Susanna, Uno sguardo distaccato (e disincantato) sul neocostituzionalismo (manuscrit inédit). ALEXY, Robert, Teoria dei diritti fondamentali, trad. italienne, Bologna, Il Mulino, 2012 ; Id., “Grundrechte, Abwägung Rationalität”, in Ars Interpretandi. Yearbook of Legal Hermeneutics, n°7, 2002 (trad. espagnole, D. García Pazos & A. Oehling de los Reyes, “Derechos fundamentales, ponderación y racionalidad”, in CARBONELL, Miguel, El canon neoconstitucional, p. 104. 95 BERNAL PULIDO, Carlos, El principio de proporcionalidad y los derechos fundamentales, Madrid, 2003. 96 GUASTINI, Riccardo, Distinguendo. Studi di teoria e metateoria del diritto, Torino, Giappichelli, 1996, pp. 115-145; Id., Leçons de théorie constitutionnelle, cit., p. 235. 97 GARCIA AMADO, J.A., “Neoconstitucionalismo, ponderaciones y respuestas mas o menos correctas. Acotaciones a Dworkin y Alexy”, in Carbonell, M., El canon neoconstitucional, cit., p. 391 : “Una norma constitucional, que llameremos N1, dice que “Todos tienen derecho a la libertad de expresión”; otra norma constitucional, N2, dispone que “Todos tienen derecho al honor”. ¿ Qué ocurre si un conciudadano mío, afirma en una reunión publica que sabe con total certeza que yo practico el bestialismo con gallinas? Si, por el momento, damos por sentado sin discusión que una afirmación asi supone una mancha para mi honor, entendido aquí como reputación o estima publica, y puesto que es indudable en el caso que ese ciudadano se ha expresado libremente, tendríamos que mi conciudadano tanto ha ejercido su libertad de expresión como ha danado mi honor, el honor que, según N2, yo tengo derecho a que se mantenga incólume. En otros términos, la acción de X consistente en proferir tal afirmación en la mencionada reunión publica tanto es subsumible bajo N1, y entonces es una acción permitida, puro ejercicio de un derecho de X, como es subsumible bajo N2, pues dana ese honor al que yo tengo derecho pleno. ¿ Estamos, pues, ante una antinomia? Y sea antinomia o no, ¿ como se decide un caso asi derecho en mano?” 98 SCHLINK, Bernhard, « Proportionality (1) », pp.719-737 ; BARAK, Aharon, « Proportionality (2) », in Michel Rosenfeld, Andras Sajo (ed.), The Oxford Handbook of Comparative Constitutional Law, pp.738-755. 99 TUSSEAU, Guillaume, « « Irregulare aliquod et (tantum non) monstro simile » : remarques sur les heurs et malheurs des dialogues juridictionnels transconstitutionnels », à paraître, Mare & Marin, 2014. 94 16 principes et les normes »100. La sécurité juridique fait justement partie de ces standards qui permettent aux juges de se donner la conviction d’un dialogue qui pourtant se fait dans l’application silencieuse des standards. 2.4. La sécurité juridique : un standard performatif Évidemment, ces standards servent le dialogue juridictionnel transconstitutionnel en ce qu’ils permettent bien aux interprètes de lire la Constitution à la lumière de principes réputés intangibles, garantis tant en l’espèce, dans l’arrêt vénézuélien susmentionné, par les conventions internationales et interaméricaine que par le juge national. Dans cet arrêt, les juges de la Cour de Caracas avaient en outre retenu la prévisibilité et la certitude du droit, au sens de la « sécurité juridique » comme un élément précis de standard constitutionnel101. En ce sens, autant dire qu’au-delà même du seul principe selon lequel, dans nos démocraties contemporaines, il revient à la justice constitutionnelle de « préserver la démocratie et la justice au-delà des contingences »102 , des standards jurisprudentiels ont vu le jour afin de mettre en ordre cette exigence : le standard de « sécurité juridique » 103 de « certitude du droit » comme « standard minimum de protection » 104 pour les États. Cet élément se veut, bien sûr, être un point d’appui fondamental dans l’interprétation constitutionnelle, permettant, en reprenant notre distinction préalable, de jouer le rôle d’1) élément d’harmonisation ; 2) de norme adoptée par l’usage et ; 3) de principe de résolution universel de conflits et donc de régulation du système constitutionnel. Par cette dernière acception il faut bien entendre que le recours à la sécurité juridique permet d’assurer, par sa force là encore rhétorique, l’illusion d’un fonctionnement normal du système constitutionnel. Dans son arrêt 334/2013 du 26 juin 2013, la Cour constitutionnelle de Roumanie va précisément utiliser ce recours au standard de sécurité juridique lors de l’examen de la constitutionnalité de nouvelles règles portant amendement de la loi sur le quota minimum de participation des électeurs à un référendum. La « sécurité juridique » et la « stabilité juridique » viennent justement convaincre, à l’appui de la décision des juges roumains, de la 100 Tribunal Suprême de Justice du Venezuela, Chambre constitutionnelle, Expediente n° 11-1130 du 17 octobre 2011, § VII Motivaciones para decidir : « los estándares para dirimir el conflicto entre los principios y las normas deben ser compatibles con el proyecto político de la Constitución (Estado Democrático y Social de Derecho y de Justicia) y no deben afectar la vigencia de dicho proyecto con elecciones interpretativas ideológicas que privilegien los derechos individuales a ultranza o que acojan la primacía del orden jurídico internacional sobre el derecho nacional en detrimento de la soberanía del Estado. » (http://www.tsj.gov.ve/decisiones/scon/octubre/1547-171011-2011-11-1130.html) 101 Tribunal Suprême de Justice du Venezuela, Chambre constitutionnelle, Expediente n° 11-1130 du 17 octobre 2011, § II Contenido de la decisión : « (...) el estándar de previsibilidad o certeza de la norma. En efecto, el ´test de previsibilidad` implica constatar que la norma delimite de manera clara el alcance de la discrecionalidad que puede ejercer la autoridad y se definan las circunstancias en las que puede ser ejercida con el fin de establecer las garantías adecuadas para evitar abusos ». 102 MEZZETTI, Luca (a cura di), Sistemi e modelli di giustizia costituzionale, Padova, CEDAM, 2009, p.85. 103 Cour constitutionnelle d’Albanie, du 6 février 2013, 1/2013 ; Cour constitutionnelle d’Allemagne, 6 février 2013, BvR 2122/11, 2 BvR 2705/11 et 5 mars 2013, 1 BvR 2457/08 ; Cour suprême fédérale du Brésil, 15 mars 2012 ; Cour constitutionnelle de Croatie, 7 novembre 2012, U-I-2414/2011, U-I-3890/2011, U-I-4720/2012 ; Cour constitutionnelle de Hongrie, 21 février 2013, 4/2013 ; Cour constitutionnelle de Roumanie, 26 juin 2013, 334/2013. 104 DI MANNO, Thierry, « Les divergences de jurisprudence entre le Conseil constitutionnel et les juridictions ordinaires suprêmes », in Les divergences de jurisprudence, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2003, p. 203. 17 pertinence quant au rôle qu’est le leur d’assurer une législation mieux contrôlée. Le standard n’est plus alors simplement interprétatif, comme dans le cas du recours à l’argument de la proportionnalité, mais il est ici directement performatif : nul balancement ou pondération n’est à faire, la sécurité juridique est un argument qui doit s’appliquer directement. Il joue alors le rôle d’un standard comme principe de résolution de conflits et comme élément d’harmonisation. Quelques semaines auparavant, dans un arrêt 4/2013 du 21 février 2013, la Cour constitutionnelle de Hongrie avait justement utilisé ce principe pour résoudre un conflit entre la liberté d’expression et la protection de l’ordre public. L’argument de la « sécurité juridique » avait joué son rôle de standard permettant, de façon fort surprenante - pour qui ne croirait pas à l’usage rhétorique qui en est fait - de déclarer inconstitutionnelle l’interdiction de l’usage des symboles des régimes totalitaires (« svastika », sigle SS, croix fléchée, étoile rouge à cinq points, marteau et faucille), établie par les dispositions de l’article 269/B du Code pénal hongrois, au profit d’un large respect de la liberté d’expression. Quoiqu’il puisse sembler particulièrement étonnant que le juge hongrois privilégie à ce titre la liberté d’expression, dans un contexte délicat, l’usage qu’il fît alors du standard de sécurité juridique était précisément venu à l’appui d’une démarche visant à valider la légalité du port de symboles significatifs du totalitarisme et de la dictature nazie. 2.5. Un argument de relative autorité régulatrice Cette utilisation du standard qu’est ce principe de sécurité juridique ou de certitude du droit trouve d’ailleurs, plus pacifiquement, une application poussée au Brésil et en Argentine par exemple, à l’appui de conflits qui permettent aux juges d’utiliser ce principe comme un argument de relative autorité régulatrice. En Argentine, c’est ce que fait notamment la Cour Suprême de Justice de la Nation dans un récent arrêt du 11 février 2014, Asociación Trabajadores del Estado cl Fisco de la Provincia de Buenos Aires 105. En effet, les juges argentins, de façon assez lapidaire, ont utilisé le recours au principe de sécurité juridique pour résoudre un conflit et en tirer une exigence de protection des droits. De leur côté, l’utilisation de ce même principe par les juges de la Cour Suprême Fédérale du Brésil, plus prolixes, a permis, dans l’arrêt ADI 2.240 du 9 mai 2007 106 , d’expliquer en quoi ce « princípio da segurança jurídica », à l’appui des théories de André de Laubadère107 ou Georg Jellinek108, devait être « préservé ». 105 Cour Suprême de Justice de la Nation d’Argentine, 11 février 2014, Asociación Trabajadores del Estado cl Fisco de la Provincia de Buenos Aires : http://www.csjn.gov.ar/confal/ConsultaCompletaFallos.do?method=verDocumentos&id=708389 : « por razones de seguridad jurídica fundadas en el principio de perentoriedad de los términos, esta Corte no admite presentaciones posteriores al "plazo de gracia" previsto en el arto 124 del Código Procesal Civil y Comercial de la Nación, ni siquiera cuando la demora es de pocos minutos (Fallos: 316: 246; 319:2446 y 329:326, entre otros). » 106 Cour Suprême Fédérale du Brésil, 9 mai 2007, ADI 2.240 : http://www.stf.jus.br/imprensa/pdf/adi2240.pdf 107 Au §6 de l’arrêt, dans son Traité élémentaire de droit administratif, 4éme. ed. LGDJ, Paris, 1.967, p. 17. 108 Au §6 de l’arrêt, dans son Teoría General del Estado, 2a ed., trad. espagnole de Fernando de Los Ríos, Fondo de Cultura Económica, México, 2.000, pp. 319 et ss. 18 Au fond, s’il est possible d’induire une conclusion provisoire de tels raisonnements et usages, nous pourrions avancer que le recours au standard de sécurité juridique, comme le recours à celui de la proportionnalité semble donc permettre à plusieurs titres d’illustrer en quoi un standard constitutionnel, au-delà de chaque cas d’espèce concerné, assure toujours une même fonction : préserver un ordre juridique particulier c’est-à-dire préserver des valeurs particulières, tout en donnant l’illusion de faire dériver ces valeurs du standard en question. C’est bien là toute la force illusoire du standard en matière d’interprétation et de décision : plus son recours semble évident pour les juges, plus le dialogue des juges s’éloigne et plus le standard joue alors un rôle rhétorique dissimulant une idéologie. 19